Je m'appelle Elodie, j'ai 32 ans. Je suis infirmière devenue formatrice sanitaire et social et je suis mariée à Benjamin, 31 ans, pharmacien. Nous sommes ensemble depuis presque 4 ans avec 2 ptits bouts de 7 mois.
Enceinte de jumeaux, j'ai le droit à un rendez-vous de contrôle par mois. 31 mars 2020, plein confinement : J'ai rendez vous aujourd'hui pour les 9 mois. Une formalité, même si j'appréhende de découvrir les directives de la maternité concernant la Covid. Mon mari et moi remplissons notre attestation et partons le cœur lourd. Je serai la seule à assister à cette dernière échographie. Il me dépose devant la maternité et m’attend dans la voiture. 11h : Pas le temps de stresser, le gynécologue m'accueille dès mon arrivée pour l'échographie. Tout va bien, juste : " Votre fille n'a pris que 100g; contrairement à son frère qui en a pris, lui, 500. " Je ne m'inquiète pas plus que ça. Le gynécologue se veut rassurant. Il est le chef de service, c'est son métier. Je lui fais confiance. Ce rendez-vous tombe bien quand même. Depuis quelques jours, je sens que ma petite bouge moins. Je sais qu'elle est engagée et installée dans le bassin. Alors, je reste à l'écoute, je suis vigilante à ses mouvements. Mais l'échographie aura le mérite de me rassurer pour ça. Par contre, ma tension est à 15. J'ai donc gagné le droit d'aller faire des examens complémentaires au premier étage. Normal. Je suis juste triste à l'idée de devoir le vivre seule. Je préviens donc mon mari de rentrer à la maison car le temps d’avoir les résultats ce sera long. Une sage femme m'accueille pour un premier monitoring, une prise de sang et un examen d’urine.
Je m’appelle Elodie, j’ai 32ans. Je suis infirmière devenue formatrice sanitaire et social et je suis mariée à Benjamin 31 ans pharmacien. Nous sommes ensemble depuis presque 4 ans avec 2 ptits bouts de 7 mois.
12h20 : L’interne gynécologue de garde vient m’informer que tout va bien. Je suis heureuse et soulagée. Je vais enfin pouvoir rentrer manger avec mon mari. Sauf que … il n'avait pas terminé sa phrase. " Nous allons vous garder. Vous êtes à 38SA. Au vue de votre tension et de la faible prise de poids de votre fille, les risques vont augmenter crescendo pour vos jumeaux. Il est plus judicieux de vous déclencher." Tout se chamboule dans ma tête. Je ne suis pas prête. Je n'ai pas mes affaires. Et mon mari ? Est ce que je vais devoir accoucher seule ? 13h : Une auxiliaire m’accompagne et m'installe dans une chambre double, vide. Depuis le début de ma grossesse, j'ai tendance à faire des crises d'hypoglycémie. Et là, j’ai très faim. J'ai à peine le temps de m’installer qu’un sage-femme m’emmène dans une autre salle pour le déclenchement. C'est parti. Le sage femme est vraiment top, très bienveillant, à l’écoute. Il m’explique tout. Il comprend que la situation est pesante pour moi. Il fait tout son possible pour être présent. Malgré mon seuil élevé de résistance à la douleur, la pose est hyper douloureuse. Je reste là sous monitoring un bon moment. Je suis si partagée. Contente d'être enfin "délivrée", la fin de grossesse commençait vraiment à être difficile. Tout en étant déçue que le travail soit déclenché. En attendant, je suis là, seule, avec l'interdiction de bouger. Je dois absolument rester sur le dos pour garder en place les capteurs. J’ai si mal au dos. Je me sens mal. 14h : Mon col est pour l'instant complètement fermé et postérieur. Je retourne dans ma chambre et appelle mon mari pour lui demander de m'apporter mon sac de maternité. Mon mari arrive. Je le rejoins sur le parking. Il ne peut pas entrer dans le bâtiment. Je lui dis au revoir. Un au revoir déchirant. J'espère de tout mon être qu'il sera à mes côtés pour l'accouchement. J'ai besoin de lui. 17h : Quelqu'un passe enfin me voir en chambre. Je lui demande si je peux avoir une collation. Je suis à jeun depuis le petit matin. J'ai trop faim. Elle m’amène donc un yaourt... Une nouvelle sage-femme vient me chercher pour le contrôle. Mon col n’a absolument pas bougé. Je ne ressens aucune douleur, aucune contraction. Il ne se passe rien. Elle m'informe que la sage-femme de nuit passera dans ma chambre pour un contrôle. Je repars donc dans ma chambre pour la nuit. 18h30: Une auxiliaire m’amène un plateau « léger ». J'ai droit à une soupe, une biscotte et un yaourt. J’essaie de prendre le temps de manger. Je sens qu'une migraine s'invite également pour la soirée. Le temps me parait une éternité. J'appelle mon mari. La migraine est de plus en plus présente. J'ai besoin de dormir. J'espère juste que la sage-femme de nuit ne passera pas trop tard. 22h: Toujours personne. Je n'en peux plus. J’ai envie de m’exploser la tête contre un mur. Je sors de ma chambre tant bien que mal et essaie de trouver quelqu’un. Je tombe sur une sage-femme et lui demande si je peux prendre du paracétamol. Je souffre de trop. « Oui, bah, je passerai tout à l’heure et vous en rapporterai. Si j’y pense ! ». Sa réaction me refroidit. Je vois bien que c'est le rush. Mais ça ne l'excuse pas pour autant de me parler ainsi. C'est pas grave. Je suis toujours bien équipée avec un mari pharmacien. Je retourne dans ma chambre et prend 1g de doliprane. 23h30 : La sage-femme arrive. Je suis épuisée. La journée a été si longue. Surtout avec 2 bébés presque à terme dans le ventre. Mais à priori, ce n'est pas l'heure de dormir. Moi qui m'imaginais dormir quelques heures, voilà que je me retrouve dans une autre salle avec une étudiante pour un nouveau monitoring. Elle contrôle mon col. AUCUN CHANGEMENT. Le monito révèle quand même quelques contractions mais indolores. Elle me renvoie donc en chambre et me prévient que le prochain contrôle aura lieu vers … 2h ou 3h ! Minuit : Je suis épuisée. Je suis censée bientôt accoucher et je ne peux pas dormir. Comment vais je faire avec si peu de sommeil ? Je m'allonge, calcule le nombre de d'heures de sommeil qu'il me reste. Heureusement, ma migraine s'efface petit à petit. C'est toujours ça de pris. 00h30: Je ressens une première contraction. Puis 2. Puis 3. Puis toutes les 3 minutes. J’appelle les sages-femmes. " Il va falloir attendre Madame. Nous ne pouvons rien pour vous." Je me sens si seule. La solitude m'est même plus difficile que la douleur des contractions. Je m'étais toujours imaginée vivre ces moments avec mon mari, ensemble pour passer ces étapes. Et je me retrouve ce soir, seule à devoir gérer seule. 2h : Je n’en peux plus. Je les rappelle. L’étudiante sage-femme m’emmène faire un contrôle. Mon col n’a toujours pas bougé. Je suis exténuée. Je suis ramenée dans ma chambre. La sage-femme me dit qu'elle ne peut rien pour moi et que je dois encore patienter jusqu'au prochain monito. Les contractions s'enchaînent. Je pleure. Je m'accroche au lit. Je ne dors pas de la nuit. 7h: Je suis à bout. J'appelle les sages-femmes. J'ai besoin d'aide. Le sage-femme de la veille a pris la relève de jour et vient me voir. Il m’emmène faire un contrôle. Toujours aucun changement. Je souffre tellement. Je n’ai plus du tout le moral. Le sage-femme me prévient qu'il va m'apporter de quoi me soulager. Je ne comprends ni pourquoi, ni comment on a pu me laisser souffrir toute la nuit seule. 9h : Grâce aux antalgiques, je souffre moins. Mais je suis toujours épuisée et n'ai toujours pas pu me reposer. TOC TOC TOC Le gynécologue me rend visite : " Si à 13h30, il n'y a toujours pas de changement, nous reposerons un nouveau tampon." Je suis dépitée. Comment pourrais-je tenir 24h de plus dans cet état là ? et sans dormir ? 10h: Nouveau contrôle. Nouveau toucher vaginal. Je les appréhende de plus en plus. C'est franchement douloureux. Verdict. Toujours rien. 11h : Je fête mes premières 24h à l'hôpital. Seule. Le temps est interminable. J'ai le droit de ne manger que très peur. Mon moral est de plus en plus bas. 13h30 : l'heure fatidique. Dernier contrôle avant la prise de décision. Mon col est toujours fermé ! MAIS, il y a un mais, le sage femme sent qu'il y a une petite différence au toucher. Mon col a donc travaillé un peu ! Il m'informe qu'il va voir le gynécologue pour la suite. Les contractions reviennent de plus belle. Je souffre le martyr. La position sur le dos que les examens m'imposent ne fait qu'empirer les douleurs. Le sage-femme revient. J'ai gagné quelques heures. On attend de voir l'évolution du col avant de remettre un tampon. Je suis soulagée. Je prie alors tout ce que je peux pour que ce fameux col bouge. Me voilà, de nouveau seule, dans ma chambre, à attendre. J’ai mal. J’essaie de trouver une position pour me reposer. Je n'y arrive pas. Je suis à bout de force. 15h30: C'est l'heure du nouveau contrôle. En chemin, nous croisons le gynécologue. Je lui souris et le salue. " Je sors d'une réunion de crise, les papas ne sont plus admis en salle de naissance. Et ce, à partir de maintenant." Mon monde s’écroule. Je ne veux pas être seule. Je ne veux pas accoucher seule. J'ai peur. J'ai besoin de lui. Je ne veux pas lui présenter nos enfants sur un parking d’hôpital dans plusieurs jours. J’essaie de négocier. Je suis en larmes, complètement désemparée. Le sage-femme entend ma détresse et me promet d'essayer de faire quelque chose. En attendant, je dois subir un nouveau monitoring. Je m'installe, mais je ne suis plus là. Je suis dans un état second. Mon col a bougé. Enfin. Une bonne nouvelle. Il est presque à 3 doigts. Le sage-femme m'annonce que la péridurale va pouvoir être posée. Je suis soulagée, non seulement pour mes contractions mais aussi pour les touchers qui me sont de plus en plus insupportables. Deuxième bonne nouvelle. Le gynécologue m'informe que si le travail se met en route avant demain, mon mari sera autorisé à venir pour l’accouchement. L’anesthésiste vient me poser la péridurale. La pose est difficile pour elle du fait de ma double scoliose. Elle finit par y arriver mais m'informe qu' : " Il est possible que cela ne fonctionne que d’un côté ou qu’on soit obligé de bouger le cathéter durant l’accouchement. " Lors de la consultation pré-accouchement avec l'anesthésiste, on me l'avait mentionné. Tout le monde se voulait rassurant. Mais là, à cette heure-ci, je reçois ces mots bien différemment. Comme si ce n’était pas déjà assez dur pour moi. Je suis donc maintenant dans la salle de naissance, anesthésiée ou pas, à attendre que mon col soit ouvert à 6 cm avant minuit, pour espérer la présence de mon mari. 19h: Le sage-femme vient me voir. C'est la fin de sa journée. Il m'annonce que son collègue prendra le relais. 20h: Je rencontre le nouveau sage-femme, qui est déjà informé de mon histoire. Nouveau contrôle. Mon col est quasiment à 6 cm. J'ai l'autorisation d'appeler mon mari. La joie m'envahit. Je sais qu'une fois rentré, on ne pourra plus le mettre dehors. Je reçois une bonne dose d'adrénaline, je pourrais déplacer des montagnes. Mais pour l'heure, je saute sur le téléphone. Quelques minutes après, mon mari est à mes côtés. Il attendait sur le parking sans que je le sache. Rien que de le voir et de l’avoir auprès de moi me redonne des forces. J’ai eu tellement peur de son absence que je pleure de joie. Il me tient la main, me donne un fond d’eau. Il est d’un soutien incommensurable. Il est là. Je suis soulagée. La soirée se passe. Le sage-femme vient me voir toutes les heures pour suivre l'évolution. 00h: Je ne supporte plus la péridurale. Je vomis à chaque fois que j’appuie sur le bouton. Je me sens mal. J'essaie tant bien que mal de m'asseoir avec l'aide de mon mari, quand les nausées arrivent. Mais c'est mission impossible. Entre mon ventre, les capteurs, le câble de la péridurale, la perfusion. On me demande de rester allongée. Ca devient de plus en plus difficile à gérer. L'anesthésiste change alors la dilution. 00h30: Je suis à dilatation complète. Mais je ne suis pas la seule à accoucher ce soir là. Je dois attendre mon tour. 1h15: C'est l'heure. On s'installe. J'ai droit à un vrai défilé de blouses blanches. J'étais prévenue, mais ca reste déstabilisant. Je savais que pour des jumeaux l'accouchement est très protocolé : 2 auxiliaires de puériculture, 2 sages-femmes, 2 pédiatres, le gynécologue, l’anesthésiste et l’infirmière anesthésiste. Je suis impressionnée par tout ce monde mais j’essaie de me concentrer sur ma fille qui est la première à sortir. Je n’ai pas assez de contractions. Un comble. Je pousse très bien mais cela ne suffit pas. Le gynécologue m'aide avec la ventouse. Il est 1h55, je donne naissance à ma petite fille, Romane. Je l'entends, elle pleure. Je suis soulagée. Mon mari me regarde, les larmes aux yeux. On me présente mon bébé mais je dois rester concentrée. Je dois maintenant donner naissance à mon fils. Surtout que le travail a commencé depuis un moment. La tête est en bas mais il ne descend pas. Commence alors la « grande extraction ». La gynécologue de garde essaie de lui attraper les pieds en passant son avant-bras. J’hurle de douleurs. J’ai l’impression d’être une machine à laver et que mes organes sont dans le tambour en plein essorage. Il y a du sang qui gicle. Elle n’y arrive pas. Elle retire sa main, retire son gant et remet son avant-bras. Pendant ce temps, je pense à mon mari. Il doit avec peur pour moi. Je pense à mon fils. Je sais que j'endure ça pour lui. J'ai mal. Je réfléchis. Mais n'ai plus accès à mes propres émotions. Il y a urgence. La pédiatre fait sortir mon mari. Je l'entends sortir sans vraiment réaliser. J'essaie de rester moi, focus sur le moment. Il rejoint notre fille dans la pièce d’à côté pour éviter qu’il ne voit tout ça. Le sage-femme essaie de prendre le rythme cardiaque de mon fils. Il est à 60. Il est en bradycardie. Le code rouge est lancé. Je suis soulagée pour mon corps. Je ne vais plus à subir tout ça. Mais j'ai si peur pour mon fils. Peur que ce soit trop tard. Tout le monde court partout, on me met une sonde urinaire en urgence. Je suis emmenée sur mon lit, les jambes dans les étriers au bloc. Tout le monde court tellement vite que je rentre dans les murs et les meubles. Tout va si vite. Je suis dans un état second, j'ai du mal à suivre l'enchaînement de tous ces évènements. Je suis juste consciente que quelque chose se joue, qu'il faut aller vite et que je dois rester forte pour mon fils. Nous sommes au bloc. Je sens le scalpel ouvrir mon ventre. Je ne suis pas endormie. je ressens tout. J'hurle. La douleur est insoutenable. Je ne suis que douleur. Je veux pouvoir m'endormir au plus vite. C'est si difficile. D'autant plus que je suis infirmière, et que je comprends tout. Je les entends: " Endormez la complètement ! " " Je ne trouve pas le curare ! " Ils essaient de m’endormir avec un masque sur le visage. La douleur me fait hyperventiler. Je finis par m’évanouir ou je m'endors avec une anesthésie générale. Ils ne savent pas lequel m’a fait partir en premier. 5h : Je me réveille brusquement. J'étais en train de rêver. Je ne sais plus de quoi. Il me faut quelques secondes pour retrouver mes esprits et me situer dans l'espace. Un homme en blouse blanche vient à ma rencontre pour me demander comment je me sens. Je ne sais répondre que : " où est mon fils ? où est mon fils ?" " Je ne sais pas. Je suis infirmier de salle de réveil, le médecin va arriver. " Je suis infirmière moi-même. Je sais quand est ce qu'on dit ça. Il y a forcément une mauvaise nouvelle. Je panique. Je pleure. Mon fils est mort. Je suis seule. J'ai mal. Le médecin arrive accompagné du sage-femme. Ils m’informent que mon fils a été transporté en réanimation pédiatrique dans une ville à 1h d’ici. Il est actuellement en route. Je m’effondre. On m'amène auprès de mon mari qui est resté avec notre fille. On pleure tous les deux. On ne comprend pas tout ce qu’il vient de se passer. Il a eu très peur pour moi. Après mon départ pour le bloc, il est passé dans la salle de naissance. Il y avait du sang partout. Concernant, notre fils. Il a pu le voir. Sans le toucher. Nous sommes le 2 avril, il est 7h, mon mari doit partir car " c'est la règle". Il va prendre la route pour retrouver notre fils, Thomas. Je me retrouve seule. Avec ma fille. Une ouverture sur le ventre. Pleine de sang. Incapable de me lever. Avec une partie de ma chaire à plusieurs kilomètres de moi. Savoir mon fils parti en SAMU, seul, me rend malade. Mais je reste forte. Forte pour mes enfants. Alors, je reste collée à ma fille et lui parle de son frère pour lui envoyer la force de vivre. Malgré les 5 minutes de massage cardiaque à sa naissance, mon fils n'a aucune séquelle et nous rejoindra le jour même en début d'après-midi. Un message à faire passer à d'autres mamans ? Durant plusieurs mois je ne dormais pas les nuits de mercredi à jeudi. Je pleurais souvent quand je me retrouvais seule en pensant à cet instant. Mon accouchement a été très traumatisant. J’ai songé à consulter un psychologue si cela ne passait pas. Mais, aujourd'hui, presque 7 mois après je le vois comme un putain d’obstacle que j’ai réussi à traverser. Et qui m' a offert le plus beau des cadeaux. Je suis fière de moi. Je voulais partager ce récit car cela est arrivé ou arrivera peut être à d’autres mamans. Je veux qu’elles osent en parler si elles en ont besoin et qu’elles sachent qu’elles sont toutes des Warriors. J’ai d’ailleurs cru pendant longtemps que le fait d’avoir tout senti était une erreur médicale. Puis, j’ai appris que mon fils était tellement faible que s’ils m’avaient endormie, il n’aurait peut être pas survécu. Chaque accouchement est unique et magique quelqu’il soit.
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